Lire était un bon moyen de s’évader, et ce depuis des millénaires, alors forcément les vampires n’échappaient pas à la règle, même ceux qui se pensaient bien au-delà de l’humanité, leur part humaine les rattrapaient tout de même. Mais Louise ne s’intéressait pas à n’importe quel œuvre, évidemment, non, ce qu’elle recherchait c’étaient les bouquins préfacés. En effet lire quelques paragraphes qui, parfois, rendaient hommage à l’auteur d’origine faisait toujours chaud au cœur de la toreador, elle qui  rêvait qu’un jour on ferait également des éloges panégyriques à son égard. Toutefois il y avait une des écrits encore plus précieux, plus amusants, plus croustillants pour elle : les premières parties rendant hommages à des écrivains qu’elle avait connu de leur vivant. C’était délicieux de comparer ce que racontait des gens nés des années, voir des siècles, après la mort de l’auteur et ce qu’elle avait pu constater de ce dernier. C’était un de ses péchés mignons parce que ça faisait facilement naître dans sa poitrine tout un tas de sentiments ; par fois l’amusement en voyant le gouffre qui séparait la réalité de la vision de la préface ; parfois une colère indignée devant une injustice détestable . Mais le plus agréable c’était de lire les commentaires de correspondances dès lors que les échanges épistolaires l’impliquait elle. Ça lui laissait une impression grisante de seconde immortalité, d’exister à la lumière du jour du moment qu’un mortel les lisaient, quand bien même elle ne pouvait plus profiter des rayons du soleil. Alors, perdue dans ses lectures, la main gauche pianotant sur la table, la droite formant un poing pour soutenir sa tête, elle ne remarqua les les chuchotements animés que lorsqu’elle replaça une mèche baladeuse derrière une oreille. Se mettant de face pour mieux les voir, se demandant si elle ne devrait pas leur demander de faire moins de bruit, elle se ravisa. On lui lançait des œillades qui manquaient singulièrement de discrétion.

La vampire finit par se lever et décida, parce qu’après tout pourquoi pas, d’aller à leur rencontre, au petit groupe qui semblait tant absorbée par son apparence. Sur les cinq hommes, trois avaient l’air d’à peine sortir de l’adolescence tandis que les deux autres ne ressemblaient pas tant que ça à des bibliothécaires. En faisant quelques pas dans leur direction elle entendit de façon plus distincte de ce dont il s’agissait : ils semblaient ne pas être d’accord sur un détail ou deux. Le plus âgé, sans doute la trentaine, soutenait que, visiblement, Louise n’était pas qui ils pensaient tandis que le roux en face affirmait avec conviction que si. Le volume ouvert sur la table à une page qui montrait un tableau avec un bon gros bloc de texte qui semblait assez indigeste. Mais plus que les caractères physiques de cette fine équipe en plein débat, c’était le tableau en question qui interpella la rousse. C’était son portrait réalisé par Grimou. Elle avait proposé que s’il comptait passer tant de temps à l’observer alors il pouvait bien faire un tableau pour lui éviter d’avoir à se déplacer là où elle se rendait. Cet imbécile d’Alexis l’avait pris au premier degré et voilà que son joli minois avait été immortalisé sur toile ; le plus triste dans cette histoire c’était probablement que ce qui avait été représenté était loin d’être son meilleur profil. Un blondinet la vit approcher alors que ses camarades étaient encore occupés à s’écharper verbalement et ferma brusquement l’épais ouvrage avant de se racler bruyamment la gorge. Il tentait de montrer une certaine confiance mais il était évident à quiconque savait à tantinet lire un visage qu’il était loin de la ressentir, cette assurance. Il était nerveux et ne voulait de toute évidence pas trop être ici.

« Bonsoir m’dame. »
« Bonsoir. » Elle ponctua sa réponse en croisant les bras sur sa poitrine. « Je peux vous aider ? » 

Sa question, sans doute plus sèche qu’elle n’aurait souhaité, ne manqua pas de faire hésiter la poignée de chercheurs nocturnes mais déjà elle pouvait voir les effets de sa discipline à l’œuvre. L’éclat dans leurs regards respectifs se fit plus terne. A l’exception du trentenaire qui lança un coup d’œil inquiet avec une question larvée au reste de sa bande. Il sembla se rendre compte de ce qui était en train de se passer sans pouvoir nommer le phénomène ou bien en expliquer le fonctionnement. Alors il tenta la première chose qui lui passa par la tête.

« Hé Jean réveilles-toi ! » Il envoya une bourrade dans l’épaule du roux qui lui lança un regard noir. Puis avant que la vampire n’ait eu l’occasion d’hausser un sourcil il sortit un gousse d’ail de sa poche et la brandit devant le nez de leur proie. « Tiens créature des ténèbres ! »

Son rugissement qui aurait eu sa place dans un mauvais film tourna à l’incrédulité lorsque l’odeur désagréable atteint les narines de sa cible. Louise se mit de profil pour que son nez délicat, froncé par l’expérience désagréable, ne souffre pas davantage.

« Ça marche les gars, c’est bien une vampire !» Il semblait particulièrement incrédule, comme s’il essayait de se convaincre lui-même plus que ses camarades chasseurs de monstres nocturnes. Mais Jean et ses comparses eurent de toute évidence besoin qu’on leur dise explicitement que ça fonctionnait et qu’ils avaient eu raison depuis le début parce qu’ils se mirent à agir comme si un charme venait d’être brisé.