La musique bat son plein en arrière plan. Assise confortablement sur un divan de couleur pourpre, Camille joue avec son portable dans une salle VIP privatisée. Ses doigts manucurés tapent avec rapidité sur le téléphone, un jeu chinois du nom de Tears of Themis, une romance où on collectionne des cartes...bref, absorbée par la beauté des dessins, elle se laisse porter. Vêtue d'un hoodie à manche longue, où deux carpes koi se rejoignent, elle machouille - avec élégance malgré tout - un de ses ongles.
La lumière tamisée joue avec ses cheveux argentées, réhausse le loup d'argent qu'elle porte sur le visage mais qui ne cache pas ses yeux aux prunelles bleue et rose. Tout en jouant, elle regarde de temps à autres ses notifications. Après tout, une sang bleue veut la rencontrer... Et c'est assez rare pour être souligné. Camille reste une jeunette dans ce monde d'immortel et les Ventrus ne sont pas connus pour aimer la modernité...en particulier les jeux vidéos, internet, le numérique. Ils pourraient lui cracher dessus qu'elle ne serait pas surprise.
Un message la tire de ses pensées

Elle répond rapidement

Juliette, sa soeur de sang, avait insisté bec et ongle pour qu'elle soit dans les parages lors de ce rendez-vous. Elle restait jeune, là où Juliette avait dépassé ses 150 ans. C'était mignon cette protection...Camille était rassurée.
Quand va-t-elle arriver, cette Gladys ?

- Madame de Rohan, n'oubliez pas votre rendez-vous de 23h30... Le chauffeur sera là dans dix minutes.
- Très bien, merci Elisabeth, vous pouvez sortir...

D'un air agacé je dépose le stylo avec lequel je signe des documents, je recule ma chaise délicatement pour ne pas faire de bruit et gracieusement, je me lève pour commencer à ranger mon bureau... Je regarde par la fenêtre, les lumières de la ville empêche de voir le ciel, mais la nuit est assez calme, une nuit parfaite pour des négociations. Je quitte alors mon bureau, dès ma sortie un léger sourire étire mes lèvres alors que mes mains glissent sur le pelage inexistant de Plasma, sa peau se fripe légèrement sous mes doigts et je le caresse quelques secondes :

- Je reviens au lever du soleil, soit sage.

Mon sourire s'efface dès que mon regard quitte le félin pour laisser place à un visage sans expression, sérieux et droit. Je prends mes affaires, ma petite sacoche avec différents documents rédigés par mes employés... Aujourd'hui un rendez-vous qui s'annonce déjà le plus déplaisant mais nécessaire, aller parler avec une gamine, voilà qui s'annonce assez particulier. Mais cette gamine, je l'ai vu en action, elle a de l'influence sur un domaine qui m'échappe totalement mais surtout, elle fait partie des Toréador. S'il y a bien un clan à se mettre dans la poche, c'est sûrement celui du Prince...

Le trajet se passe vite et heureusement, un petit salon privé dans un hôtel de luxe,  je suis légèrement en retard mais je ne me presse pas pour autant, j'écoute Elisabeth, ma secrétaire, me dire encore des choses que j'ai déjà entendu, j'essaye de réajuster ma chemise dans l'ascenseur, d'habitude j'ai des vêtements un peu plus d'époque mais apparemment la modernité est de mise aujourd'hui, j'ai donc opté pour un tailleur noir de Channel, une chemise blanche et mes bijoux, des diamants évidemment mais surtout, un magnifique collier ras-de-cou avec un magnifique et somptueux rubis en son centre marquant directement ma caste et ma position.

On toque à la porte, pf, autant rentrer, ils n'ont qu'à être prêt. Et me voilà entrer dans ce petit salon assez coquet et spacieux. Il y a un sofa, des fauteuils, un mini bar, des plantes... Je fixe la jeune fille affalée sur le canapé, je prends alors un sourire "naturel" et amical, comme ceux que je sais faire,

- Enchantée, Camille Garnier, je suis Gladys de Rohan... je me réjouis de faire cette collaboration avec vous !

Je m'avance vers un des fauteuils, je m'y installe droite et élégante, tout mes gestes se veulent élégant et nobles, peut-être un peu trop, mais il n'y a rien d'hostile venant de moi, je dois la jouer plutôt finement.

- J'ai, apporté avec moi les derniers documents pour commencer cette collaboration... Je me doute que ça doit être étrange pour vous, mais je me suis dis que... ça serait un parfait compromis pour nous deux. Et... pour nos deux clans...

Je la regarde, j'espère qu'elle comprend l'enjeux derrière cette "simple publicité".

- J'ai également apporté un exemple de parure que vous allez porter pour cette collaboration... évidemment, ce sont des répliques, vous aurez les vrais le jour du tournage...

Je pose alors la mallette sur la table, mais je ne l'ouvre pas tout de suite, j'attends un peu de voir l'attitude de ma collaboratrice.

Pendant quelques microsecondes, Camille se fige à l'ouverture de la porte mais elle reporte naturellement son masque impénétrable à l'entrée de la sang bleu. Elle pose son téléphone sur ses genoux, appuyant sur le bouton de vérouillage. Un fond d'écran s'illumine où un manekineko lève sa patte dorée dans un rythme doux. Elle regarde avec attention la tenue impeccable de Gladys, ses bijoux, sa mise, sa chevelure argent, ses yeux charmeurs... avec une moue. Une pure sang bleue. Elle est presque déçue. Camille avait peu rencontré de caïnites, et, elle le conçoit, elle est assez curieuse. L'art vidéo-ludique accapare toutes ses pensées mais il faut bien reconnaître qu'elle est intriguée par ce nouveau monde. Ce n'était pas la première Ventrue qu'elle avait rencontrée, mais cette Gladys cochait toutes les cases : parfaite dans sa mise, parfaite dans sa tenue, parfait masque de sociabilité hypocrite. Tous les descendants sont hypocrites de toute façon... son coeur se serre, sans qu'elle ne sache pourquoi.

Elle écoute d'une oreille ce que lui dit Gladys et tend la main pour regarder les documents d'un air distrait. Bien sûr qu'elle veut autre chose qu'une collaboration matérielle. Une alliance ? Pourquoi ? Que mijote-t-elle ? Des têtes vont tomber ?

Tout en gardant les yeux rivés sur les documents, qu'elle lit avec sérieux tout de même - elle ne sait pas où elle met les pieds - elle prend la parole :

- Vos bijoux me semblent être d'un luxe raffiné, Mlle de Rohan. Je ne suis qu'une youtubeuse gaming, le public visé n'est pas forcément celui que vous souhaitez, pourquoi avoir pensé à moi, alors qu'une influenceuse cosmétique ou beauté serait plus adaptée ? Sachez que je choisis mes collaborations avec soin, elles doivent correspondre à mon image, au personnage que je joue en ligne, car rien ne doit m'empêcher d'atteindre ce que je souhaite.

Elle lève les yeux pour les plonger profondément dans ceux de Gladys - pari risqué qu'une jeunette regarde ainsi un caïnite plus ancien -

- Pourquoi me choisir moi si ce n'est à cause de mon clan ? Que voulez-vous réellement ?

Evidemment, j'aurais dû m'en douter quand je vois l'attitude de cette jeune vampire. De son aura désinvolte et intouchable, il y a un petit quelque chose chez elle qui m'agace et qui me plaît : elle n'a l'air d'avoir peur de rien. Je reste alors calme, neutre, aucune émotion ne peut se lire sur mon visage, une légère fausse sympathie évidemment... Je la regarde, je suis ses mouvements des yeux et pourtant je reste droite, calme et immobile, je la laisse prendre connaissance des différents documents.

Au moins, elle a la tête sur les épaules, elle sait déjà très bien les choses : parfait, je n'aurais pas besoin d'y aller par quatre chemin avec elle ! Je croise les jambes, restant élégante et pour mieux me poser, je hoche la tête à sa phrase pour lui montrer que je l'écoute, que je suis attentive à ses remarques, même si ma réponse est déjà toute prête dans ma tête.

J'aime cet air effronté, elle arrive même à m'arracher un petit sourire narquois, puis je m'adosse légèrement à mon fauteuil, je lui dis d'un ton calme mais sûr de moi :

- Comme vous l'avez dit "si ce n'est pour votre clan"... il s'agit simplement de ça. Je cherche a élargir nos horizons... Pourquoi vous ? Eh bien tout simplement car vous représentez la jeunesse vampirique, l'espoir de ce nouveau monde ! Mes bijoux sont certes raffinés et de la plus haute couture, mais je possède un large publique parental, je touche une... large audience... expliquais-je en premier, appuyant les mots "large audience", de plus, j'ai entendu ouïr que vous êtes à la recherche de fonds... de partenaires pour réaliser, comment vous dites "votre rêve", d'atteindre "votre but...

Je me redresse, dépliant mes jambes, j'ouvre la petite mallette. Un magnifique parure d'un or blanc et de diamant, évidemment de faux. Je veux lui montrer par cette réplique l'étendue de l'argent que je lui propose, je veux qu'elle comprenne que ce n'est pas une proposition d'enfant que je viens lui faire, mais que je lui sers quasiment sur un plateau de diamant, son rêve. Ou presque en tout cas.

- J'ai besoin de votre influence auprès du "jeune publique", des jeunes vampires "mordernes", disons que au-delà un échange de partenariats, c'est un petit échange de... public ? d'influence ? Une bonne manière de se faire connaître... Nous sommes, la vitrine l'une de l'autre.

Je lui souris avec amusement, puis je me remets contre mon dossier, je la regarde, je la fixe, mes yeux pénétrant son regard, je lui fais un geste de la main, lui montrant les documents,

- Voulez vous signer ce contrat ? Je vous propose de l'audience mais également un bon apport pour votre futur local...

Effectivement, je suis sûrement au-dessus de toutes les collaborations qu'elle a déjà pu faire, mais elle a encore plus à y gagner. Moi aussi, en l'aidant, je mets un premier pied dans l'univers de ce clan d'artiste, ne dit-on pas que ce sont les premiers à suivre le renouveau ? Les plus promptes aux changements... ?

Camille écoute. Si son coeur n'était pas mort, il se mettrait à battre à tout rompre dans sa poitrine. Une lueur s'allume dans ses yeux, et elle maltraite gaiment une de ses mèches argentées. Elle se voit déjà dans son local au design irréprochable donner des ordres à des développeurs pour qu'enfin elle crée ses propres jeux vidéos. Est-ce que ce qui se passait était vrai ? C'est trop beau pour être vrai. L'esprit de la caïnite tourne à plein régime mais elle ne trouve aucune faille. "La vitrine l'une de l'autre", c'est tout à fait ça. Un échange de publics. Une alliance vampirique aussi.

Elle prend le stylo, un beau plume en nacre, et le fait tournoyer entre ses doigts. L'offre est si alléchante.

- Vous allier à moi, c'est aussi vous allier à une jeune. Vous n'avez pas peur que votre clan le réprouve ?

Elle apporte le plume à ses lèvres.

- Je souhaite seulement comprendre jusqu'où va votre ambition. Vous connaissez la mienne. Vous savez que c'est une ambition purement artistique et professionnelle, pas politique, je m'en fiche de ces vieux croulants dans la Tour. Est-ce que votre ambition est purement professionnelle, liée à votre métier de bijoutière de luxe, ou est-ce politique ?

Camille veut lui faire comprendre que la politique, ce n'est pas ce qu'elle veut, ou, avec grande réticence. Elle devra s'y confronter, c'est indéniable, mais le moins possible est le mieux. Elle prend entre ses doigts le contrat et continue de jouer avec le plume tout en regardant avec grand intérêt la Ventru. Un petit quelque chose lui plait chez elle sans qu'elle n'arrive à mettre le point dessus. Certes, elle lui offre son rêve sur un plateau d'argent mais ce n'est pas pour ça. Quelque chose dans son attitude trahit qu'elle n'est pas une ventrue...trop orgueilleuse ? trop dans son monde noble ? Ce n'est pas ça...mais quelque chose dans le style. Elle semble vieille mais pas si vieille que ça...Ou alors elle a des idées modernes ?

Camille affirme sa prise sur le stylo, puis signe le contrat. La plume crisse délicieusement sur le papier. Les poils des bras de la jeune femme s'hérissent. Elle décide de faire confiance. Son instinct lui souffle que c'est bon. Une occasion rêvée. Pas de politique. Se rapprocher du monde vidéo-ludique, tout ce qu'elle veut en somme. Elle tend les papiers vers la caïnite devant elle, avec un grand sourire mutin.

- Bon, quelle est la suite des évènements, Mlle de Rohan ?

Ses yeux pétillent. Elle se rendosse contre son siège. Un murmure désobligeant lui arrive du plus profond d'elle-même. Restes maitresse. Dirige la conversation. Ne montre pas que tu es complètement acquise. Cette ventrue va te gober toute crue. L'orgueil de sa bête, bien évidemment. Ses ongles raclent un peu les coussins moelleux du canapé bordeaux, un de ses crocs brille entre deux sourires satisfaits, ses chaussures hautes s'appuient sur le tapis ocre à leurs pieds, quelques signes du caractère agacée de la bête que Camille réprime d'une main de fer. Elle déteste au plus haut point entendre cette chose. Elle se lève alors, fait le tour du canapé pour dégourdir ses jambes, une main lascive effleurant le haut du siège. Ne pas être assise. Être debout. Ne pas être la proie.